Homélie pour l’Annonciation et le dimanche de la restauration du culte des icones (Fête de l’Orthodoxie)

Les deux premiers dimanches du carême sont consacrés, l'un à faire mémoire du rétablissement de la vénération du culte des saintes icônes après la longue persécution iconoclaste qui avait marqué le huitième siècle et une partie du neuvième ; le second dimanche de carême, dimanche prochain, sera consacré à la mémoire de saint Grégoire Palamas.

Nous pouvons être tentés de nous demander quel rapport il y a entre les saintes icônes, saint Grégoire Palamas et le carême, qui est notre préparation à Pâques.

Pour bien le comprendre, il faut réfléchir à ce que signifient ces trois choses. Dans les trois cas, il s'agit de prendre davantage conscience des aspects fondamentaux de la foi chrétienne. Car c'est la foi qui est le fondement de toute notre vie spirituelle, de toute notre vie de chrétien.

La vie chrétienne n'est pas simplement faite d'un ensemble de préceptes, de règles à observer, de choses que nous aurions à faire ou à ne pas faire, en nous appuyant seulement sur nos propres forces, sur notre propre volonté. Ce qui est au cœur de la vie chrétienne, de la foi chrétienne, c'est que Dieu est lui-même intervenu librement dans l'histoire des hommes pour, à la fois, les réconcilier avec Lui dans le Christ, et, les ramener à l'unité également dans le Christ, en les faisant participer, ensemble, à la même vie divine.

Par le péché, dès les origines de l'humanité, l'homme s’est éloigné et finalement s'est séparé de Dieu. Aussi, il fallait que l'union se rétablisse entre Dieu et l'homme. Et, seul, Dieu pouvait en prendre l'initiative. Il fallait d'autre part qu'il intervienne dans l'histoire des hommes pour les rassembler, les ramener à l'unité, eux que le péché avait divisés et dispersés, ces deux aspects étant étroitement liés. Tout ceci s'est accompli par l'Incarnation du Christ, préparée, annoncée, promise par toutes les interventions de Dieu dans l'histoire des hommes qui forment la trame de tout l'Ancien Testament, de toutes ces préparations que Dieu a voulu réaliser pour que puisse s'accomplir l'œuvre de son Fils. Aujourd'hui, nous fêtons les saintes icônes. Ce qui a permis, ce qui a fondé ce culte des saintes icônes dans l'Église, c'est le mystère même de l'Incarnation.

Nous célébrons donc doublement l’Incarnation de Dieu en ce jour de la radieuse fête de l’Annonciation. On appelle cette grande fête « Evangelismos » en grec et « Blagovechténie » en slavon, ce qui veut dire : « la « Bonne Nouvelle ». En ce jour, l’Archange Gabriel annonce à Marie : « Réjouis Toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec Toi ! …. Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. »

Mais d’où vient cette « annonce » et en quoi est-ce une « bonne nouvelle » ?

 Dieu lui-même annonce par les Prophètes de l’Ancien Testament la venue du Messie, du Sauveur, de l’envoyé de Dieu. Et le peuple hébreu attend depuis très longtemps ce Messie. Dans la Bible nous pouvons lire les prophéties qui annoncent la prochaine venue du Messie, le Fils de Dieu sur terre, son incarnation par la Vierge. En particulier, les magnifiques paroles du prophète Isaïe (Isaïe 7, v14) : « Voici la Vierge qui recevra dans ses entrailles et enfantera un Fils et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui veut dire « Dieu avec nous».»

Dans l'Ancien Testament, avant que Dieu ne se manifeste dans son Fils de telle sorte que nous puissions voir le visage du Père à travers le visage du Christ, Dieu était invisible, insaisissable, incompréhensible. Aucune image ne pouvait le représenter, et c'est pourquoi lorsque Dieu a transmis les dix commandements à Moïse, il a prescrit qu'on ne ferait pas d'image de lui-même. Car Dieu était un pur esprit et ne pouvait être représenté. Tenter de le faire conduisait nécessairement à l'idolâtrie.

Cependant, à travers tout l'Ancien Testament, Dieu préparait cette manifestation qu'il avait résolu de nous faire de lui-même, de son propre visage dans son Fils. Et c'est seulement par l'Incarnation de la seconde personne de la sainte Trinité que Dieu est devenu vraiment accessible, que, dans le Christ, nous pouvons contempler comme le reflet du visage du Père, « Celui qui m'a vu a vu le Père », dira Jésus.

Oui, si l'icône est possible, c'est parce que Dieu s'est incarné. C'est parce que, à travers un visage d'homme, nous pouvons désormais contempler le visage invisible du Père; c'est parce que dans le Christ, le ciel et la terre se sont rencontrés, et c'est bien ce qu'évoque l'évangile d'aujourd'hui, cette parole un peu mystérieuse du Christ : « Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme» (ln, 1, 51). Le Christ, par ces paroles, fait allusion à la mission de Jacob, au songe de Jacob, qui a vu une échelle mystérieuse unir le ciel et la terre. Car, si les anges montent et descendent, c'est que le ciel et la terre sont réunis.

On compare l’échelle de Jacob à Marie qui en donnant naissance au Christ, permet de rétablir le lien vivant entre la terre et le ciel. C’est pour cela que la couleur traditionnelle des fêtes de la Mère de Dieu est le bleu azur du ciel. La profondeur azurée du ciel est une image directe de la création de Dieu.

A travers le songe de Jacob, a lieu l'annonce, le pressentiment de la réunion du ciel et de la terre qui s'accomplirait dans le Christ. C'est parce que le Christ est Dieu et homme qu'il est vraiment le lieu, si l'on peut dire, le véritable sanctuaire où le ciel et la terre se rejoignent et où la terre, où l'homme peut avoir de nouveau accès à Dieu. C'est cela que signifie le songe de Jacob et c'est cela que signifie cette parole du Christ dans l'évangile d'aujourd'hui.

Oui, si l'icône est possible, si nous pouvons et devons vénérer les saintes icônes, c'est parce que Dieu s'est manifesté dans le visage de son Fils et aussi dans le visage de tous les saints, qui sont les membres de son Fils. Dimanche prochain, nous célébrerons saint Grégoire Palamas. Saint Grégoire Palamas a consacré tout son enseignement et toutes ses forces à affirmer que l'homme, non seulement l'âme de l'homme, l'esprit de l'homme, mais que l'homme tout entier, l'homme, corps et âme, peut être réellement uni à Dieu, divinisé, justement parce que le Fils de Dieu s'est incarné, le Fils de Dieu est venu parmi nous, il s'est fait homme pour que l'homme puisse devenir Dieu, pour que l'homme puisse participer véritablement à la vie divine.

Oui, le christianisme n'est pas simplement une morale, qui prescrirait de faire ceci et interdirait de faire cela, en promettant récompense ou châtiment. Le christianisme est avant tout ce don de Dieu qui nous est fait dans le Christ, ce don de l'Esprit-Saint que le Christ ressuscité a donné aux hommes. Car c'est seulement par la Pentecôte, par l'effusion sur l'humanité de l'Esprit-Saint envoyé par le Christ ressuscité, que s'est accomplie pleinement l'œuvre du salut. Et au dernier Jour, c'est une nouvelle effusion de l'Esprit qui sera l'intervention finale, définitive, de Dieu dans l'histoire des hommes.

C'est parce que Dieu nous a ainsi communiqué son Esprit par le Christ ressuscité que nos cœurs peuvent être transformés. Il y a dans le cœur de tout homme une aspiration au bien parce qu'il a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Il y a dans le cœur de tout homme une certaine lumière intérieure, qui, s'il était attentif, lui permettrait de savoir ce qui est bon et ce qui ne l'est pas, mais chez nous pécheurs, cela reste inefficace; chez le pécheur, quand Dieu n'a pas transformé son cœur, la tendance vers le bien reste à l'état de volonté impuissante. Mais, par le don de son Esprit, par le don que le Christ ressuscité nous fait de cette vie divine, de cette vie de l'Esprit-Saint qui est en lui, alors oui, notre cœur peut véritablement être transformé. Dans le cœur de tout chrétien, de tout baptisé, il y a une lumière, il y a un attrait, il y a une force pour atteindre tout ce qui est selon Dieu, pour atteindre tout ce qui est selon l'esprit de l'évangile, pour obtenir tout ce qui peut nous rendre conforme au Christ, nous faire ressembler à lui. C'est cette transformation de notre corps, de notre cœur et de tout notre être par la puissance de l'Esprit, que saint Grégoire Palamas a voulu défendre de toutes ses forces, contre tous ceux qui réduisent le christianisme à n'être finalement qu'une philosophie humaine.

Donc, si en ces deux dimanches, l'Église nous rappelle ces deux réalités fondamentales que sont la vénération des saintes icônes, puis l'enseignement de saint Grégoire Palamas, c'est parce que nous trouvons là comme le résumé, le condensé de l'enseignement de saint Grégoire Palamas qui a véritablement mis le sceau à tous les conciles, œcuméniques et provinciaux, qui pendant les treize premiers siècles de l'Église ont précisé, ont tracé d'une façon exacte en face de toutes les hérésies, de toutes les interprétations fausses, ce qu'était la vraie doctrine chrétienne; ces conciles, à la fois en condamnant l'iconoclasme, puis en affirmant l'orthodoxie de la doctrine de saint Grégoire Palamas, ces conciles ont vraiment mis sous scellé tout cet édifice doctrinal, qui s'était constitué durant les treize premiers siècles de l'Église. Non pas qu'ils aient ajouté quoi que ce soit à l'évangile, à l'Écriture, mais ils ont précisé, défini les contours, écarté toutes les erreurs qui pouvaient fausser notre vision de la foi chrétienne.

Donc, en ce début de carême, il faut que nous ouvrions vraiment le regard de notre cœur, que nous accueillions cette grâce de l'Esprit qui nous donne ce regard nouveau, qui nous permet de comprendre que Dieu intervient vraiment dans nos vies. Rendons-nous disponible pour recevoir la grâce du Seigneur et, à la suite de Marie, la Mère de Dieu disons: «Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole ».

Pâques sera justement le mémorial de la grande intervention de Dieu dans notre monde par la mort et la Résurrection de son Fils et le don de l'Esprit-Saint aux hommes. Pour nous préparer à cela, pour l'accueillir, il faut que notre foi se renforce, que notre foi soit de plus en plus vivante, plus ardente, qu'elle nous fasse comprendre ces dimensions tellement merveilleuses, tellement extraordinaires de notre vie chrétienne. Que nous comprenions que Dieu s'est fait homme afin que l'homme puisse vraiment participer à la vie divine, que l'homme puisse être ainsi transformé dans son cœur et tout son être.

Oui, que nos cœurs soient profondément transformés par l'Esprit-Saint, comme nous le disons avec le mégalynaire de la fête de l’Annonciation : « Nous te chantons ô très Pure cette parole de l’Archange: réjouis Toi pleine de grâces, le Seigneur est avec Toi ! »

Radieuse fête de l’Annonciation à chacun de vous et sereine continuation du grand carême !

Très sainte Mère de Dieu, sauve-nous !

Amen.